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Alphonse
Boudard est né à Paris en 1925 de père inconnu.
Mineure et sans ressource, sa mère le confie dés
sa naissance à une famille de paysans de
Bellegarde, en pleine forêt dOrléans. Il
grandit là comme « un petit clébard »,
entre Blanche et Auguste,un ancien de la grande
guerre, taciturne, laconique, bourru et
affectueux, qui ponctue ses journées besogneuses
et silencieuses de courtes tirades telles que « Tchon,
fi de garce, vlà ty pas lAlphonse
qui sramène ». Son premier langage
fut donc celui des Carnutes, alors que lui-même
semblait promis au difficile statut douvrier
agricole, à la vie de petit paysan ou de cul-terreux
si vous préfèrez. Cest à lâge de 7
ans que sa mère vient le chercher à Bellegarde
pour linstaller chez sa grand-mère, du côté
de Motte-Picquet Grenelle, puis dans le 13ème
arrondissement, entre les Gobelins et la Porte de
Choisy. Il y perd son accent campagnard au
contact de ses nouveaux « potes » et
se mêle aux locaux : les populos du
quartier qui vont au boulot tous les matins aux
usines Panhard et Levassor, quelques apaches de
la Butte aux Cailles, de vieux soudards, danciens
Bataillons dAfrique (les Bat dAf) de
Tatahouine, des accrocs au jinjin qui perdent
leurs derniers sous et leurs derniers jours au
bistrot.
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Le
hasard et les amitiés ayant bien fait les
choses, Alphonse Boudard se retrouve du bon côté
de la barrière et, après avoir été sur les
barricades de la place Saint Michel lors de linsurrection
de Paris, il sengage dans larmée de
De Lattre et part bouter lallemand hors de
France. Un fait darme qui lui vaudra une
blessure judicieusement placée et une décoration. La fin de
la guerre a sonné le glas des illusions de bien
des jeunes gens qui sétaient laissés
porter par la fièvre de la Libération, la fin
de la récréation en quelque sorte, ce qui pour
les uns est synonyme de retour au boulot et qui
se traduit pour les autres par le chômage forcé
et non indemnisé. La Fontaine qui ne la
pas inventé le disait déjà : « loisiveté
est mère de tous les vices » et les
mauvaises habitudes prises durant la guerre et
les campagnes militaires ne se perdent pas
facilement. Alphonse Boudard vit dexpédients,
il fréquente toutes sortes dengeances, traîne
ses lattes dans un Paris désoeuvré, commence
par quelques combines illicites, touche au
cambriolage et utilise finalement son ascendant
sur les autres pour monter defficaces équipes
et de lucratives « affaires ».
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Cest
le début de sa période sombre, une quinzaine dannée
quil passe entre ombre et lumière, entre
un milieu parisien interlope et diverses prisons
ou hôpitaux français. Il y croise la fine fleur
des bas fonds, tout ce que la société punit,
rejette ou ne veut pas voir, y noue quelques
amitiés et sy construit une véritable
carapace, bien décidé à cultiver sa différence.
Diagnostiqué « intelligent » par ladministration
pénitentiaire, il a accès aux bibliothèques et
senferme dans la lecture, se fait une éducation
littéraire, ses gammes en quelques sortes :
de la Bible à Céline, en passant par les
classiques grecs, les romans de Balzac, Stendhal,
Tolstoï, Proust, Mann, les biographies
historiques et les récits de voyages. |

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Ces
lectures ne font pas son éducation, loin de là,
mais elles la complètent. Il le dit lui-même,
les voyages comme les livres ne forment que ceux
qui le sont déjà, tout comme la grammaire napprend
pas le langage, elle le structure, lorganise,
lexplique. Alphonse Boudard qui a sérieusement
roulé sa bosse sait que rien ne remplace lexpérience
mais il commence à ressentir lappel de la
page blanche et débute la rédaction de sa
courte biographie. |
A
sa sortie de prison en 1958, son style argotique
et littéraire témoignant dune double
culture, ses premiers manuscrits séduisent un éditeur
plus téméraire que la moyenne de sa profession
et conquièrent un large public, amateur dun
langage « où les gauloiseries, les
truculences et l'argot des voyous rencontrent la
petite musique des nostalgies ». Cest
le début dun succès qui rien ne démentira,
un « miracle Boudard » que Michel
Tournier, un de ses premiers lecteur qualifiera
sobrement : « la rédemption par lécriture ». |

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Un
style immédiatement reconnaissable, une expérience
personnelle unique, un réel talent de romancier,
Alphonse Boudard devient une valeur sûre et le
cinéma lui tend la main. De la même trempe quAlbert
Simonin, Georges Simenon ou Frédric Dard, il
collabore en tant que dialoguiste ou scénariste
à de nombreux films policiers entre la fin des
années 60 et les années 80, notamment aux côtés
de Michel Audiard, Jacques Deray, Alain Delon.
Les films alternent avec les écrits, certains
meilleurs que les autres. On signalera entre
autres Le Café du Pauvre, Le banquet des Léopard
ainsi quune irremplaçable méthode dapprentissage
de largot : La Méthode à Mimile, bâtie
sur la modèle de la célèbre méthode Assimil. |
Les Combattants du
petit bonheur (Prix Renaudot, 1977)
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Les Matadors /
Bleubite
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Le corbillard de
Jules
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La métamorphose des
cloportes
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La Cerise (Prix
Sainte Beuve, 1961)
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Lhôpital :
une hostobiographie
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Alphonse
Boudard nous ayant quitté en lan 2000, que
reste til de lui? Comment qualifier ce
parcours hors du commun, cette expérience unique sans tomber
dans la facilité de la prison, le Milieu et l'argot ? A
l'issu de sa vie, retiré à Nice en compagnie de ses amis
écrivains, dont Louis Nucéra,
il sy est risqué dans un de ses
derniers livres « Mourir denfance »
(prix du roman de lAcadémie Française, 1995),. Ce païen convaincu, cet agnostique qui
doute et qui a traversé lexistence sans
croire à grand-chose confie pourtant quil
a trouvé la clé en lisant lEcclésiaste:
il y un temps pour tout, un temps pour planter ,un
temps pour arracher, un temps pour naître, un
temps pour vivre et un temps pour mourir. Tous
ces moments, toutes ces expériences incompréhensibles
dans linstant finissent par saccorder
les uns avec les autres, par avoir une continuité,
par former un tout, et cela devient le livre. Le
livre qui témoigne dune existence, modeste
puisque celle dun seul homme, mais qui sintègre
au Livre. |

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Il faut
lire le(s) livre(s) dAlphonse Boudard, témoignage d'une
vie unique à défaut d'être exemplaire, à l'issu de
laquelle il aura sans doute eu cette pensée de Rabelais, dont
il descendait: "La farce est finie, je m'en vais vers un
grand peut être...."
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