Bernard Blier, le Premier des Seconds

Bernard Blier, est né à Buenos Aires le 11 janvier 1916, sa famille résidant alors en Argentine où son père, biologiste à l'Institut Pasteur, était en mission. Il réalise ses études à Paris au lycée Condorcet avant d’intégrer le cours d'art dramatique chez Julien Bertheau et Raymond Rouleau. C’est ce dernier qui le fait débuter à l'écran en 1937 dans « Trois, Six, Neuf. Refusé trois fois au conservatoire Bernard Blier rencontre Louis Jouvet qui lui donnera deux précieux conseils : toujours persévérer et accepter de tout jouer plutôt que de ne rien jouer du tout...
Finalement reçu au conservatoire il entre dans la classe de Jouvet sur les conseils duquel il multiplie les rôles au théâtre : "Mailloche ", " l'Amant de Paille"... jusqu’à ce que Marcel Carné lui confie un rôle important dans « Hôtel du Nord ». Il commence à s'imposer lorsque la guerre éclate.
 Mobilisé, prisonnier, il s'évade et revient à Paris où il retrouve plusieurs amis cinéastes dont Christian-Jaque. Il reprend le chemin des studios et refait du théâtre de façon régulière, ainsi que du cinéma dés 1947, tout d’abord avec Clouzot « Quai des Orfèvres » puis avec Yves Allégret « Dédée d’Anvers »
Il devient dés lors un acteur de tout premier plan sollicité aussi bien par le cinéma que par le théâtre. Son type d'homme le cantonne alors dans des emplois de maris trompés et d'amoureux bafoués. André Cayatte avec « Avant le déluge » et « Le dossier noir » lui offre alors des rôles dramatiques marquants qui lui ouvrent un autre registre et qui le font découvrir par les cinéastes italiens.

Dès lors Bernard Blier va se partager entre la France et l'Italie. En 1959 il est l'une des vedettes de l'admirable film de Monicelli « La Grande Guerre ».  Il déclarera plus tard à ce sujet: "C'est grâce à ce film que les Italiens m'ont adopté comme l'un des leurs". C'est en effet l'Italie qui lui offre alors des emplois remarquables sous la direction - entre autres - de Lizzani, Visconti et Corbucci.

Dans les années 1960, Bernard Blier apparaît comme un comédien de tout premier plan au sein du cinéma français. Il tourne avec un jeune réalisateur français, Georges Lautner, dont il ne tarde pas à devenir l’acteur fétiche. Aujourd’hui encore, beaucoup pensent qu’il est l’acteur qui a le mieux mis en bouche les fameux dialogues de Michel Audiard qui collabora à de nombreuses reprises avec Georges Lautner. Ce duo, servi par des acteurs hors pairs ont en effet jalonné le cinéma français du films cultes qui vieillissent et se dégustent comme de bons Bordeaux 
Bernard Blier alterne les tournages en France et en Italie, sans toutefois délaisser le théâtre puisqu’il n’a pas oublié les déclarations que lui fit jadis le grand Jouvet. Dans un interview accordée au Journal du Dimanche le 18 mai 1975, il se souvenait des conseils que luis avait donné son professeur : « Toi tu commenceras ta carrière à cinquante ans , me répétait-il toujours, et il ajoutait : Prends ton temps ! J'ai toujours suivi ses conseils. J'ai passé ma vie à observer les autres, en m'amusant des travers de chacun. »
De Lizzani à Visconti, de Lautner à Audiard, de Pierre Richard à Robin Davis, d’Henri Verneuil à Alain Corneau, en passant par son fils Bertrand, Bernard Blier ne fait qu’appliquer tout au long de sa carrière les leçons de Jouvet...avec un Grand talent 
Très amaigri, à bout de forces mais chaleureux, souriant et bonhomme tel que l'écran l'avait si souvent révélé, Bernard Blier apparut pour la dernière fois en public le 4 mars 1989. sur la scène de l'Empire, lors de la cérémonie des Césars. Debout l'assistance ovationna longuement le comédien à qui Michel Serrault, larmes aux yeux, venait de remettre le César d'Honneur qui couronne sa prestigieuse carrière. Puis, avec sa modestie coutumière et après un ultime salut Bernard Blier disparut en coulisse. Quelques jours plus tard, le 29 mars, à Saint-Cloud, s'éteignait celui qui fut, durant un demi-siècle, le plus populaire des grands seconds rôles du cinéma français.

Depuis ses débuts, en 1936, il n'avait pratiquement jamais cessé de travailler et venait après au moins 180 films, d'ajouter à sa filmographie un dernier titre, italien, dont la traduction pourrait être, avec quelle ironie. " Un éclat de vie " ! En novembre 1987, il avait d'ailleurs prévenu un journaliste qui l'interrogeait sur son éventuelle retraite : "Ah, non ! Si j'arrête, c'est que je suis mort ! " (" La revue du cinéma ", n°440).
Bernard Blier avait tourné vingt-et-un longs métrages dans la dernière décennie de sa carrière, le plus souvent au-delà des frontières de l'Hexagone. Onze de ces films furent en effet dirigés par des cinéastes italiens - " les Italiens sont superstitieux et se sont mis dans l'idée que je portais bonheur, mais il y a des films que vous n'avez jamais vus ()grâce au ciel ! " - et deux autres par le Polonais Wajda et le Yougoslave Petrovic. Quant aux cinéastes français, ils préférèrent exploiter de l'acteur sa rondeur bon enfant et sa verdeur rabelaisienne, lui confiant surtout ces rôles comiques où, d'ailleurs, il excellait, ainsi l'inénarrable magnat de la production cinématographique « Je hais les acteurs » ou Alexis, le ministre soviétique que titillent les sirènes du capitalisme « Twist Again à Moscou »

Le comédien est réservé sur le bien-fondé de cette image de bon vivant : "Le côté rabelaisien ne me ressemble pas du tout". Sans doute se sentait-il plus proche du Staplin cauteleux et féroce acharné à la perte de Frank Poupart/ Patrick Dewaere dans « Série Noire » ou de cet inspecteur de police assassin créé pour lui dans « Buffet froid » par le cinéaste qui le connaît le mieux, Bertrand Blier, son fils.

Quoi qu'il en soit de ses légitimes regrets -" J’aimerais avoir des rôles du type de ceux tenus auparavant par des gens comme Raimu ou Harry Baur. Je peux les jouer maintenant mais on ne les écrit pas. " ("Studio Magazine ", n° 26) - le fait que même la Télévision soviétique ait annoncé sa mort dit bien l'extraordinaire popularité, en France comme à l'étranger, d'un comédien qui ne manquait pas une occasion de rappeler: "Je n'ai jamais été une star ! " Sans doute est-ce la raison pour laquelle tant de spectateurs, de par le monde, l'ont reconnu et aimé comme un des leurs. En 1989, quelques mois après sa disparition, sa femme Annette Blier et Claude Dufresne, publièrent un livre de souvenirs intitulé, tout simplement " Bernard Blier " (Editions Solar).

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