Georges LAUTNER

Avec ses 79 printemps, il reste à ce jour l'un des cinéastes français les plus prolifiques pouvant se vanter de compter dans sa filmographie les plus grands succès de l'hexagone. C'est avec une certaine nostalgie que l'un des barons de l'âge d'or du cinéma nous a accordé quelques minutes de son temps pour nous faire partager son regard sur l'évolution du cinéma ainsi que pour nous témoigner son chagrin d'être "le dernier restant" comme il le dit lui-même.
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Comment pourriez vous m'expliquer le succès d'un film comme Les tontons flingueurs, qui plus de quarante années après, est considéré comme culte par des enfants de 15 ans ?

Ce serait plutôt à vous de me le dire parce je dois bien avouer que ça me dépasse complètement. Pourtant à la sortie on a eu de très mauvaises critiques, la pire ayant été celle d'Henri Chapier. Mais je ne comprends pas cette espèce de retournement de situation.

Il a retourné sa veste depuis ?

Non je ne crois pas… Et puis je m'en fous (Rires). Ma seule explication serait que le petit Jésus veille sur nous. C'est un peu mince je sais, mais c'est vrai que je ne crois ni mes yeux, ni mes oreilles lorsque je vois des jeunes gens de votre âge, ou plus jeunes encore qui viennent me parler des Tontons comme si c'était un film de leur génération. Et ça ne se limite pas qu'aux dialogues : Thierry Frémont m'a invité à une projection à Lyon où la salle n'était remplie que de gamins, et ils riaient non seulement aux blagues, mais aussi aux moindres mimiques ou aux moindres gestes. C'est une grande fierté pour moi.

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Avec la disparition d'Henri Verneuil il y a 3 ans ainsi que celle de Jean Lefebvre il y a peu, on se rend compte qu'il ne reste pratiquement plus personne de cette époque de la nouvelle vague aujourd'hui. Sachant que certains styles de cinéma ont tendance à revenir à la mode de temps à autre, vous vous sentiriez d'attaque pour rendre hommage au genre ?

Non ! Je pourrais le faire mais je n'en ai plus envie. J'ai fait quarante-trois films et un moment donné il faut savoir dire stop et laisser leur place aux jeunes. J'ai pas mal de scénarios dans mes tiroirs, j'écris beaucoup mais je ne m'imagine pas revenir en fanfare pour un dernier film, ce serait peut-être prétentieux. Mon rêve actuellement, ce serait d'écrire une adaptation pour un copain, ou pourquoi pas un jeune inconnu, qui ferait le film et je resterais derrière pour le protéger. Alors rendre un hommage à la nouvelle vague, pourquoi pas ? C'était simple, décontracté, ça prenait son temps, mais aujourd'hui le cinéma a bien évolué et il y a de merveilleuses choses. Il faut aussi éviter de tomber bêtement dans le passéisme, je n'ai pas envie d'être comme ces vieux cons qui ne jurent que par les années 60 (Rires). Je ne suis aujourd'hui qu'un consommateur du cinéma des années 2000, et je vis dans mon époque. Plus jeune je perdais mon temps à aller voir des films chiants, aujourd'hui j'aime voir des films qui me divertissent. Le cinéma moderne est extraordinaire mais je me demande bien ce que moi, réalisateur, je vais foutre là dedans… à moins d'avoir un sujet délirant, mais pour moi c'est terminé. Ceci dit, je suis certain que le cinéma dans lequel j'ai évolué reviendra un jour à la mode.

Vu des par des gens qui n'auront pas forcément connu l'époque en question…

L'époque en question était aussi plus cool, on pouvait faire ses films soit même. Si j'avais proposé le film à des financiers de la télévision on me l'aurait refusé aussi sec. J'ai eu la chance de superviser mes films moi-même du début à la fin sans demander l'aval de qui que ce soit, c'est important. Aujourd'hui, on demanderait à la télévision d'investir dans l'équivalent de ce qu'étaient Les Tontons, ce serait non d'office. Ce qui est assez paradoxal d'ailleurs, puisque lorsque la télé diffuse un de mes films elle s'en vante dans ses bandes annonces… enfin bon. Le charme de la nouvelle vague était un peu dans cette abstraction des conventions. Vu qu'aujourd'hui le cinéma est en partie manipulé par la télévision, est ce que ça aurait la même saveur ? Je n'en sais rien.

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C'est si difficile que ça de s'accommoder aux choix de la télévision ?

Toujours ! Un vrai réalisateur ne supportera jamais qu'on lui triture son film. J'ai eu beaucoup d'accords avec la télévision parce que mes choix correspondaient aux leurs. J'ai lutté quand c'était nécessaire, ça n'a pas été simple de faire comprendre aux gens que Belmondo doit mourir à la fin du Professionnel. Au final c'est d'ailleurs devenu un outil marketing efficace. Sinon je n'ai jamais cherché à discuter lorsque je savais bien que c'était fichu d'avance.

Vous êtes passé à côté de thèmes qui vous étaient chers ?

Mon grand regret est de ne pas avoir fait de science fiction. Les chroniques martiennes ont eu beaucoup d'influence dans ma carrière et j'ai toujours rêvé de faire un film de ce genre. Je n'étais malheureusement ni au bon endroit, ni dans la bonne période.

Vous me parliez de Thierry Frémont. Reconnaissez-vous certains successeurs de votre travail aujourd'hui, que ce soit du côté des comédiens comme des réalisateurs ?

Olivier Marchal ! Olivier Marchal a fait avec « 36 Quai des orfèvres » un film formidable ! C'est un vrai polar réaliste, un film d'action nerveux et je me demande vraiment pourquoi il n'a pas eu de récompense. Du côté des comédiens, j'aime beaucoup Benoît Magimel qui semble s'adapter à plusieurs types de rôle. Qu'on ne vienne pas me dire qu'aujourd'hui on ne fait plus de grands rôles, les bons comédiens sont là, ils existent et attendent qu'on leur propose de bons personnages. Un moment donné il faut savoir arrêter de pleurer sur ceux qui ont disparu il y a longtemps et s'intéresser à ceux en activité.

Vous allez encore au cinéma, ou vous profitez des qualités du DVD pour profiter d'un spectacle directement à la maison ?

J'aime voir les films en groupe, je vais surtout en salle dans les festivals, les petits concours organisés aux quatre coins de la France pour voir des films que j'aurais sans doute ratés autrement, mais sinon ce n'est pas toujours simple pour moi d'aller au cinéma. Je suis à un âge ou je ne supporterais pas certaines projections de films à gros budget où le volume du son est poussé à l'excès et puis j'aime bien avoir mon petit confort (Rires). Je me suis acheté un très grand écran et c'est vrai que j'aime beaucoup avoir des amis à la maison pour nous faire une petite projection privée et c'est en cela que le DVD est formidable. Regarder un film comme Le pianiste en DVD c'est une expérience à la fois éprouvante et sensationnelle.

Comment est arrivé le projet de ressortir certains de vos films labellisés THX et traités avec le plus grand soin ?

C'est Gaumont qui m'a fait cette suggestion, et c'est vrai que le travail effectué est énorme. On m'a beaucoup sollicité pour que je jette un œil sur la restauration de l'image et du son, et c'est vraiment bluffant. Le film avait vulgairement basculé dans du noir et blanc basique et ici j'y retrouve tous les niveaux de gris originaux. Je suis très content du résultat final.

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Les bonus sont importants pour vous ?

Oui, très ! Il y a tellement de travail accumulé sur la préparation et le tournage d'un film, tellement de choses incroyables dont le spectateur n'a pas idée, et on a la chance de lui faire partager ce genre de chose aujourd'hui. Je suis pour le transfert d'informations, et dieu sait que j'en ai. Pour les Tontons on a fait un commentaire intéressant je pense, j'étais accompagné d'un journaliste et d'étudiants, et c'est une expérience unique, on est vraiment proche de son spectateur à ce moment, même si tout cela est bien préparé en amont. Quatre autres de mes films vont bientôt sortir également chez Gaumont mais je n'en ai pas eu le même contrôle. J'ai répondu à une interview mais je n'ai aucune autre information sur ce que sera le résultat final.

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L'autre cas étrange concerne Le professionnel, l'un des films français les plus populaires mais qui bénéficie d'une édition très pauvre. Tant sur le plan technique que sur l'interactivité.

C'est plus un cas à part qu'un cas étrange. Il fait partie de la collection Belmondo, sorte d'excuse pour bâcler vite fait bien fait vingt ou trente films tout en leur donnant une importance vidéo qu'ils n'ont pas. Ceci dit l'édition disponible n'est pas mal, mais c'est vrai qu'on aurait pu les traiter avec plus de soin mais à titre personnel je n'ai aucun pouvoir là-dessus. On est réalisateur, on se balade dans les rayons d'un magasin et on découvre parfois certains de ses films sans même être au courant, c'est parfois aberrant mais c'est l'industrie qui veut ça. Il y a aussi eu une collection Delon je crois où les films dépendent les uns des autres et n'ont même plus leur identité propre. Dans le même ordre d'esprit j'aurais aimé bénéficier d'un coffret Lautner/Darc. Mireille et moi on a fait beaucoup de films ensemble, on est encore tous les deux vivants, on peut en parler et j'ai des heures et des heures d'archives en ma possession à fournir, mais ça n'effleure l'esprit de personne

Il y a encore certains de vos films que vous souhaitiez voir réédités ou édités ?

On souhaiterait qu'ils soient tous réédités, ça fait plaisir de voir qu'on vous porte encore un peu d'intérêt. Reste à savoir si ça vaut vraiment le coup. Quels sont ceux qui le méritent et ceux qui ne le méritent pas ? J'aimerais bien voir ressortir La route de Salina, Le septième juré, ou Galia dont Gaumont a aussi les droits… ils ont aussi La maison assassinée. J'ai l'impression que Le septième juré ne sortira jamais, ça me chagrine un peu parce que c'est un domaine difficile à contrôler. J'ai quand même de la chance d'avoir encore certains de mes films qui ont du succès, sinon on en entendrait plus parler, et puis j'ai aussi la chance d'être encore vivant, ça aide un peu. (Rires) Vous savez parfois on se rend compte qu'on est tout seul, qu'on est le dernier d'un groupe et c'est vraiment triste. J'ai l'impression que je suis là pour raviver un peu les copains. J'étais assistant pour Jacques Deray, j'ai eu pour assistant Philippe De Broca, ils sont partis d'un coup comme ça. Même la petite qui jouait la nièce dans Les tontons est morte il y a 10 ans d'un cancer. Il y a des survivants dont je n'ai plus de nouvelles, qui ont basculé dans l'oubli. A la limite moi on m'accoste encore et toujours pour le même film, et je ne saurai jamais pourquoi. Ca me survivra, mais c'est le destin de tous les artistes. On va on vient mais ce sont les œuvres qui restent.

         

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