Joseph Kessel

(1898-1979)

Bien que Kessel n’ait pas de rapport direct avec André Pousse, les romans de ce grand écrivain sont peuplés de Personnages que l’auteur a rencontrés tout de long de sa vie de voyageur et dont les vies sont au moins aussi riches que celle d’André. La lecture de « Tous n’étaient pas des anges », « Bas fonds », ou « Nuits de Prince » permettra aux amateurs de se plonger dans la brume des nuits de Pigalle ou de Montmartre dans les années 20-30 et de croiser quelques aventuriers de la meilleure comme de la pire espèce. Découvrir ou redécouvrir l’œuvre de Kessel est un plaisir dont il serait dommage de se priver. Le texte reproduit ci après vous y aidera.
Joseph Kessel, écrivain et journaliste français, fils d’émigrés russes d’origine juive, est né le 10/02/1898 à Clara, en Argentine. Son père avait fui les persécutions antisémites et était venu faire des études de médecine en France avant de s’embarquer pour l’Argentine travailler comme médecin dans une colonie agricole. Toute la vie de Kessel sera placée sous le signe de ses origines cosmopolites. A la fois juif, russe et français, il passera le plus clair de sa vie à courir le monde. Kessel passe son enfance tantôt chez ses grands-parents maternels à Orenbourg au pied de l’Oural, tantôt dans le Lot-et-Garonne, où son père et sa mère sont revenus s’installer. Il commence donc des études de lettres en Russie avant de venir les poursuivre en France au lycée de Nice, puis à Paris au lycée Louis-Le-Grand (1914). Mais il est déjà tenté par le journalisme et, la même année devient rédacteur au Journal des débats. Il obtient ensuite (1915) une licence de lettres classiques à la Sorbonne, devient élève au Conservatoire d’art dramatique, puis acteur à l’Odéon.

Cependant, il ne peut rester indifférent au conflit qui déchire le monde, et la guerre interrompt tous ses projets de carrière. En 1916, il s’engage dans l’aviation et y découvre une sorte de camaraderie héroïque qui hantera son œuvre future, notamment L’équipage, (1923) qui inaugure la littérature de l’action et de la fraternité viriles illustrée par Malraux et Saint-Exupéry ; mais aussi dans Vents de sable (1934) et dans Le bataillon du ciel (1938). Il participe, avec le grade de lieutenant, à de dangereuses missions de combat et de reconnaissance. Il se porte ensuite volontaire pour faire partie d’un corps expéditionnaire que la France envoie, en 1918, en Sibérie. Quand le bateau arrive, l’armistice a été signé. Et Kessel se trouve nommé chef de gare à Vladivostok sous prétexte qu’il est le seul à parler russe. Là, il y rencontre les futurs héros de La steppe rouge (1922). Cet emploi, on s’en doute, ne dure guère.

Rentré dans la vie civile, il va alors commencer son vrai métier celui de journaliste et de littéraire ; Tout d’abord, il retourne au Journal des débats, puis au Matin (son reportage sur le trafic d’esclaves en Mer Rouge fait date dans l’histoire du journalisme). Il voyage aux Etats-Unis, fait des reportages sur la Chine, l’Indochine, l’Inde et Ceylan ; De ses expérience, il tire la matière de ses premiers livres : Mémoires d’un commissaire du peuple (1925) ; Les rois aveugles (1925) qui lui vaudront le grand prix du roman de l’Académie française en 1927. Dès lors l’œuvre se développe à un rythme accéléré, parallèlement à une vie d’homme d’action.
Durant près de cinquante ans, il couvre tous les grands événements qui bouleversent l’univers (son œuvre de journaliste sera publiée en 1969, sous le titre : Joseph Kessel, témoin parmi les hommes ). Il assiste à la révolution irlandaise contre l’Angleterre. Il soutient les débuts du sionisme et recevra, lors de la création de l’Etat d’Israël, le visa numéro un pour se rendre dans l’Etat nouveau. Il suit les progrès de l’Aéropostale avec Mermoz et Saint-Exupéry. Il navigue sur la mer Rouge en compagnie d’Henri de Monfreid, traquant avec lui les derniers négriers. Il rencontre Hitler, qu’il dépeint comme " un homme quelconque, triste et assez vulgaire ".
Kessel participe à la guerre d’Espagne en 1936, en 1940 il est correspondant de guerre, mais après la débâcle, il entre dans la Résistance française, les Forces Françaises Libres, en 1941, puis, en 1942, passe clandestinement en Angleterre, où il devient capitaine d’escadrille et où il effectue de nouvelles missions spéciales en France. Il écrit Le chant des partisans (1943) avec son neveu Maurice Druon.
La guerre terminée, il reprend ses activités de journaliste et d’écrivain : Le tour du malheur  (1950), qui parle des drogués ; Fortune carrée (1955), récit d'aventures qui se déroule dans différents pays de la mer Rouge dont le Yémen. Après l’immense succès du Lion  (1958), sorte de reportage romancé situé dans une réserve d'animaux sauvages où une jeune fillette porte un très grand amour pour un superbe lion du Kilimandjaro, il entre à l’Académie française en 1962 où il revendiquera hautement son appartenance au judaïsme. Désormais, il se consacre à de vastes fresques historiques où passe le souffle de l’aventure façon Dumas père : Tous n’étaient pas des anges  (1963) évoque la dernière guerre ; Terres d'amour et de feu (1945 ou 1966), qui relate la naissance de l’Etat d’Israël ; et Les cavaliers  (1967) qui vient à la suite d’un voyage effectué pour le compte de l’Organisation Mondiale de la Santé et qui lui permettent d’approcher des civilisations encore mal connues comme celle dont il écrit les mœurs, hautes en couleurs, roman consacré aux cavaliers Afghans des steppes de l’Asie centrale qu’exalte une " liberté merveilleuse et sauvage " pour l’engagement d’un jeu : le bouzkachi. L’œuvre de Kessel sera souvent mise à l’honneur et couronnée, notamment en 1959 par le prix du Prince Rainier de Monaco. Il décède le 23/07/1979 à Avernes dans le Val-d’Oise.
L’entre-deux-guerres a connu une génération d’écrivains qui se voulaient en prise directe sur le monde contemporain. Ils se faisaient aventuriers, journalistes ou globe-trotters selon leurs possibilités. Ainsi Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan ou même André Malraux, parmi les écrivains français. Ainsi Ernest Hemingway, pour les Américains. "Jef " Kessel appartient de plein droit à ce courant. Il est, avant toute chose, un témoin privilégié de l’actualité. C’est parce qu’il a vécu un certain nombre d’événements qu’il peut ensuite écrire des romans d’aventures nourris de la réalité. Parfois l’écrivain refuse la fiction pour livrer un simple reportage  : Mermoz  (1938), à la fois biographie et recueil de souvenirs, Stavisky, l’homme que j’ai connu  (1934), Au grand Socco, (1952), Les mains du miracle, Avec les alcooliques anonymes  (1960), ou le bilan de sa propre vie : Des hommes (1972), Vladivostok, les temps sauvages  (1975). Même lorsqu’il semble s’adonner au romanesque pur, Kessel demeure journaliste. Il développe par ailleurs des thématiques liées davantage à l'individu et à sa psychologie, Nuits de princes  (1928) est nourri de ses souvenirs de l’émigration russe. Belle de jour  (1929), que Luis Buñuel a porté à l’écran, ressortit aussi au reportage : l’auteur y dévoile la " part maudite " des années "folles" où la psychologie de la perversion occupe une certaine place.
Jusqu'à sa mort, Kessel ne cessera de faire cohabiter littérature et action ; attitude sans doute caractéristique de toute une génération d'écrivains qui, de Saint-Exupéry à Malraux, ont tenté de faire du roman " l'expression privilégiée " de l'aventure " vécue ". Tous les livres de Kessel reposent sur des expériences personnelles, évoquant la Russie d’après la révolution d’Octobre (La steppe rouge, 1922 ; Le journal d’une petite fille sous le bolchévisme, 1926 ; Nuits de princes, 1927), les combats aériens des premiers avions (L’équipage, 1923), les révoltes irlandaises (Mary de Cork, 1925), la naissance du cinéma américain (Hollywood, ville mirage, 1936), l’évocation de la fraternité qu’engendrent la guerre ou les dangers, soit qu’un homme seul les ait courus (Mermoz, 1938) ou soit qu’il aient été partagés (L’équipage, Vent de sables, fortune carrée), les reportages rapportés des pays plus ou moins lointains (En Syrie, 1927 ; Dames de Californie, 1928), les luttes de la Résistance (L’armée des ombres, 1946), le Kenya (Le lion, 1958), l’Afghanistan (Les cavaliers, 1967), ou le milieu des truands parisiens (Nuits de Montmartre, 1932 ; Bas-fonds, 1932).
Au milieu de ces " témoignages " émergent des personnages au statut incertain, qui, sans toujours correspondre au figures traditionnelles de l’aventurier, vivent en marge de la société " normale " ; d'où peut-être la prédilection de Kessel pour les peuples nomades, comme les Masaï du Kenya : " Personne au monde n'était aussi riche qu'eux, justement parce qu'ils ne possédaient rien et ne désiraient pas davantage " (le Lion). Mais l'errance n'est pas seulement une caractéristique ethnique ; c'est souvent un trait de psychologie qui fait des héros de Kessel des aventuriers : un même besoin d'espace unit les aviateurs de l'équipage et le cavalier afghan Ouroz. Les passions " anormales " accentuent encore cette marginalisation : Patricia, la petite fille du Lion, cesse d'être une enfant " comme les autres ", par l'amour excessif qu'elle voue à son fauve - substitut inconscient de son père. De même, Séverine, l'héroïne de Belle de jour (1928), qui mène la trop tranquille et bourgeoise existence de femme de médecin, éprouve le désir animal de se prostituer : " Déjà il y avait communication entre le monde ordonné où elle avait toujours vécu et celui qui s'était ouvert à elle sous la poussée d'un instinct dont elle hésitait à mesurer le pouvoir ". Vivre dans l'insécurité et le mystère, c'est éviter la redoutable stabilité du quotidien ; les personnages de Kessel communient avec le monde par le mouvement de désirs et d'instincts que l'auteur juge éternels. Continuer d'être " le premier, le seul à courir sans autre but que sa course" définit la philosophie d'Ouroz, dans, les Cavaliers, comme celle de Kessel ; la démesure devient un mode de vie qui permet de transcender les règles formelles et sclérosantes de toute société constituée.
Le choc inévitable entre l'individu solitaire, livré à ses passions, et les structures sociales est souvent exprimé par une écriture très mélodramatique ; Kessel, qui allie dans ses descriptions le lyrisme au style lapidaire du reportage, recourt aussi à l'analyse psychologique traditionnelle pour évoquer la dangereuse grandeur de ses personnages ; il peint alors des amitiés " viriles "confrontées à l'amour Hétérosexuel exclusif (Le coup de grâce, 1931 ; L’équipage), ou des conflits entre la raison familiale et les excès du désir (le Lion, Belle de jour). Kessel évitant les nuances, entend faire saisir au lecteur les lignes de force conflictuelles qui opposent les personnages. Parfois, au-delà des stéréotypes, de telles scènes transforment les héros en figures mythiques : dans Le coup de grâce, Hippolyte, comme son nom d'amazone le signale, incarne tout à la fois l'ambiguïté sexuelle, la vie dangereuse, l'errance loin de la cité des hommes. Tous les reportages que paraissent être les romans de Kessel constituent, en fait, les fragments complémentaires d'une épopée humaniste ; à travers la complexité des situations ou des événements, Kessel confronte l'être humain à l'espace et au temps, cherche à préciser sa place dans l'ordre du monde. Par ailleurs, l'écrivain s'intéresse peu à l'histoire et à l'évolution des sociétés, dans la mesure où il ne pense pas que celles-ci puissent modifier un comportement humain fondamentalement instinctif ; d’œuvre en œuvre, il souligne la part essentielle occupée par le mystère dans la conscience de l'homme. " Le héros national, c'est le clandestin, c'est l'homme dans l'illégalité ", écrit-il dans l’armée des ombres : ce n'est pas là une simple remarque de reporter ; cet aphorisme symbolise, en fait, son idéal de " l’Homme " : un être solitaire, recherchant la liberté et le dépassement de soi dans l'action, la guerre, le voyage ou la fraternité ; par là, l’œuvre de Kessel prolonge sans doute en plein XXè siècle, les mythes romantiques du héros.