Escale à Pigalle |
|
Le nom sulfureux de François Marcantoni nous donne loccasion de reproduire quelques articles parus récemment dans la presse (ParisObs 08/10) qui reviennent sur la faune quAndré Pousse a pu côtoyer, ou pas, lorsquil était une figure de Pigalle. Autant de voisinages, sinon de fréquentations, qui lui auront permis daffiner ses rôles de truands et que nous sommes ravis de ne jamais avoir croisés. | |
Marcantoni, lélégant |
|
Il a 84 ans, un air de parrain à la Scorsese qui fait le bonheur des plateaux télé. Il fustige avec morgue le gangstérisme actuel. L a démarche trahit le poids des années mais la formule fait encore mouche. Le Fouquets ? « Cest devenu un restaurant pour routiers ! » Son entrée dans le milieu ? « Une fois goûté au champagne, la limonade ma parue fade. » Sa fiche au grand banditisme ? « Je lai accrochée dans un beau cadre doré. » | |
|
A 84 ans et même sans
son célèbre borsalino, François Marcantoni excelle
dans son rôle de figure truculente du milieu, bandit médiatique
vu chez Bouvard ou Dumas. « Je ne sais pas si ce
fut un vrai parrain. Mais en tout cas il aime bien jouer
ce rôle », avance un connaisseur du milieu. Blazer
bleu, lunettes noires, chemises à rayures à ses
initiales, lorsquil pénètre dans cette brasserie
des Ternes, les serveurs lui donnent du « Monsieur
Marcantoni », le maître dhôtel sécarte
sur son passage. Pour un peu, on se croirait chez
Scorsese. Originaire dAlzi, en Corse, il sest engagé dans la Résistance, fut torturé par la Gestapo. A la Libération, il détrousse danciens collabos et monte le cabaret Les Calanques, rue Quentin-Bauchart, avec le frère de Tino Rossi. Il tâte aussi du braquage, dit avoir fait partie du gang des tractions avant. Proche du SAC, il joue les agents électoraux : « Jai assuré le service dordre pour la campagne de Robert Hersant dans lOise », dit-il entre deux bouffées de Montechristo. Marcantoni le facétieux qui, lorsquun jour un inspecteur de police lui enjoint de se tenir à carreau, revient le lendemain au commissariat avec une chemise à carreaux. En 1969, il est soupçonné du meurtre de Markovic, avant dobtenir un non-lieu sept ans plus tard. A 73 ans, il retournera en prison suite à une affaire de tableaux volés. Quartier VIP, en compagnie du préfet Bonnet et de Bob Denard. |
Aujourdhui, Marcantoni dit avoir des occupations de retraité : Loto, tiercé, théâtre. Mais fustige avec morgue le gangstérisme actuel : « Avant, il y avait un code dhonneur. Une morale. Des règles. Quand les flics faisaient une descente, ils navaient pas besoin de gilets pare-balles. Aujourdhui on tire au bazooka sur les convoyeurs. » Les truands, aussi, sont nostalgiques Vincent Monnier | |
Pigalle dantan : la dernière séance |
|
Palissades de travaux en champ visuel, klaxons qui éructent en fond sonore, gaz déchappement en accompagnements olfactifs. Ce jour-là, le boulevard de Clichy a tout du capharnaüm urbain. Assis à la terrasse du Chat noir, Gégé le Catcheur et Gilbert de la Butte-aux-Cailles contemplent le fatras et pestent contre la rhétorique municipale : « Il paraît quils veulent faire de Pigalle un espace civilisé. Pigalle espace civilisé, on croit rêver ! » Demain, Delanoë leur promet de la verdure, des pistes cyclables, des espaces à vivre. Demain, ils sen foutent. Ils regrettent hier. Le Pigalle dAuguste le Breton, des fêtes foraines et des tripots : « Le plus fameux, cétait le Petit Jardin, une boîte réservée aux voyous le mardi soir », raconte Gilbert, qui a tenu une baraque à strip-tease sur le boulevard. Cinq francs les cinq strips. « Les filles rencontraient des julots qui leur payaient des robes, des bijoux, les emmenaient au restaurant. Et puis, prétextant des problèmes dargent, ils les envoyaient aux asperges. » Rencontrés par lentremise de Claude Dubois, lauteur de « Paris Gangster », les deux sont danciens catcheurs qui ont grenouillé dans les arcanes du Paris interlope. Ils ont filé des coups de main, de poing à loccasion. Ils parlent largot, lAudiard, une langue presque morte truffée de « nave, cave, pains de fesse ». Tous deux approchent la soixantaine. Solide gaillard, Gégé rêve de cinéma mais pour linstant travaille dans un « cabaret » du boulevard où les gogos ne sont pas seulement les danseuses qui seffeuillent. Gilbert, lui, voyage : Colombie, Italie, Israël « Pigalle, cest foutu, explique-t-il. Les lieux ont fermé. Les plus durs nont pas passé la quarantaine ou bien ont terminé à lhospice, au milieu de ceux quils détestaient, les boulots, ces ouvriers qui allaient au turbin chaque matin. » Gégé se lève précipitamment : « Désolé, jai un client ! » Une denrée rare. On continue notre balade à la recherche du Montmartre dantan. La réminiscence sappelle Pierrot. On le retrouve à La Midinette, un rade de poche, accoudé au comptoir. En salle, on reconnaît un acteur de « Sous le Soleil », série sirupeuse de TF1. Une gueule à la Lee Marvin, des yeux bleus délavés, une verve de titi parigot. Petit, une voyante lui avait prédit quil serait aviateur. Pierrot a préféré faire monte-en-lair. Il affiche 59 ans au compteur, 32 passés au placard. Braquages, prison, évasions Ce fut la vie de Pierrot, ennemi public n° 1 en novembre 1978. Il a écrit un livre, « la Vie sur place » : « Fallait bien que je pense à ma retraite ! » Il a fait Ardisson, Taddéi, « Télé 7 Jours ». De nos jours, les braqueurs passent de lombre aux projos des médias. Lui qui a toujours vécu à Pigalle na pas reconnu son quartier. « Pas ma tasse de thé, les bobos ». Il sest replié sur les quelques lieux où « on croise encore des anciens » : Chez Amad, Au Vrai Paris, la Midinette. Des espaces pas encore civilisés. Vincent Monnier | |
Le Milieu nest plus au centre |
|
Non, le milieu nest pas mort. Même sil a muté ces dernières années, ses bars, eux, nont pas tous tiré le rideau, disparu avec la pègre dantan, celle de Gaby le Stéphanois, de Julot des sables ou dArmand les yeux bleus. Les zincs, cétait le havre du voyou, là où on retrouve les connaissances, laisse les messages et les paquets compromettants. Les balises de la nuit malfrate. Certes, les hauts lieux ont fermé. Montmartre sest vidé, et les portes Saint-Martin et Saint-Denis sont depuis longtemps désertées. Les affranchis ont désormais leurs adresses du côté de La Plaine-Saint-Denis, de Saint-Ouen et surtout dAubervilliers. Pas de berlines luxueuses garées devant, ni de clinquant dans la décoration, on est là pour boire entre « hommes ». Des établissements de rien, dissimulés dans la zone, qui accueillent mille ans de prison. Jérôme Pierrat | |
Liberi Montmartru ! |
|
Dans les années
50, à Montmartre, laccent rocailleux de lîle
de Beauté est un passeport pour la pègre. Et le petit
truand en mal de reconnaissance, monté de sa banlieue
parisienne ou de Bretagne, nhésite pas à lusurper.
Tentant pour se faire un nom, mais risqué. Le bas de la
butte est le royaume des Corses. Ils ne sont pas les
seuls à fréquenter le coin, bien sûr, mais ils y sont
les plus nombreux. Depuis la Première Guerre mondiale, le truand dAjaccio ou de Bastia exerce sa spécialité le maquereautage dans la capitale. Jusque-là, les « garçons » sétaient contentés de la Côte, Marseille et son quartier Saint-Jean, Toulon et son Chapeau rouge, Avignon pour les interdits de séjour Depuis la fin du Second Empire, léconomie de lîle est à lagonie, conséquence dune grave crise agricole qui a touché divers secteurs de la production : vignoble phylloxéré, céréaliculture concurrencée par les blés étrangers, production laitière sans débouchés Lémigration explose à partir de 1890. Aux côtés des fonctionnaires et des coloniaux, les mauvais garçons locaux sexportent. Massivement dans le Sud, plus timidement à Paris. A la Belle Epoque, les quelques insulaires fréquentent le faubourg Montmartre, le haut du panier proxénète. Traitants de chair humaine, ils viennent faire leurs courses à destination des bordels du Sud et, surtout, de ceux dAfrique du Nord où ils règnent en maîtres. Puis, comme les autres provinciaux, les Corses montent durablement à la capitale après la Première Guerre mondiale. Les aînés, qui ont fait leurs classes à Marseille, sinstallent dans le triangle dor, entre la place Clichy, Pigalle et Saint-Georges. Et font venir les « petits », jeunes bergers analphabètes descendus de leurs villages. On leur met le pied à létrier, ou plutôt Robert Guitton, un caïd des boulevards, tombe sous les balles de Jean Petit, du village dOlmetto, à qui il voulait souffler Mimi la Rouge ; René le Placeur est tué par Grisoni, dit Antoine le Frisé ; Louis la Guinche et Gilles le Pierrot sont fumés devant un bar corse de la rue Fontaine La communauté sinstalle à coups de flingue et investit dans les bars. Rue Fontaine ouvrent Le Lisieux et le Bar mondain. Rue de Douai, cest le Bar du cinéma, surnommé chez Dante, qui accueille les caïds. Lorsquils quittent leurs bureaux, les « hommes » mangent la bouillabaisse chez Nine, rue Victor-Massé, fréquentent chez Alexis, un Ajaccien qui reçoit le gratin de lîle, et écoutent un jeune chanteur qui monte, Tino Rossi, à la crèmerie de la rue Le Chapelais. Soudées dans ladversité, les différentes bandes emmenées par les caïds Joseph Marini dit le Capitaine, les frères Stéfani, Louis Poli ne vont pas tarder à saffronter entre elles. Cest le début des vendettas qui ne cesseront densanglanter le pavé du 9 e durant les quarante ans de règne des îliens. Jusquà la fin de Montmartre, devenu Pigalle, qui se meurt dans les années 1970. Les guerres ont éclairci les rangs et le proxénétisme est plus durement réprimé. Les jeunes de lîle partent maintenant faire leurs études supérieures sur le continent. Lillettrisme des petits bergers nest plus dactualité. Autour des places Pigalle et Blanche, leur accent a désormais cédé la place à celui des touristes allemands. Jérôme Pierrat |
|
Particule, gros calibre |
|
Une gueule de croque-mort, une réputation dassassin, mais un nom à particule. Gaëtan Lherbon, baron de Lussats, est sans doute le seul noble à avoir abandonné les armoiries familiales au profit du costume rayé et des pompes bicolores. Sa famille compte de brillants aînés : son grand-père, le général de division Lherbon de Lussats, a commandé les forts dAumale et son oncle, le général Amédée Guérin de Tourville, a présidé le Conseil de la guerre. Le baron, lui, sera truand. A 9 ans, orphelin de son père le marquis, il fugue avant dêtre repris à la frontière italienne. A 13 ans , on le retrouve sur un cargo à Nice, déguisé en mousse. Après deux ans dune vie de souffrances et de misère, il atterrit à Londres comme serveur. Au Café français de Dey Street, exactement. Un repaire de souteneurs français, évadés, tricards, voleurs et autres escrocs. Il y apprend la mentalité et les traditions qui régissent le milieu. Fort de son expérience et de ses recommandations, Gaëtan débarque à Montmartre en 1906, à 18 ans. Et prend rapidement la direction de la Santé pour recel. En sortant, le garçon enchaîne les bagarres au rasoir et gagne ses premiers galons dans la pègre. Il devient Gaston Baron, gentleman des boulevards extérieurs. En 14, il sengage pour la durée des hostilités. De retour sur le pavé parisien en 1920, laristo tue un certain Fournier lors dune partie de cartes dans une chambre dhôtel de la rue de Douai. Légitime défense. Le jeu lui réussit, Gaëtan en fait sa spécialité . Sa réputation grandit. En 27, il tient un restaurant de nuit au cur de Montmartre, le Grand Capitole, avant douvrir deux ans plus tard le Grand Duc. Une boîte pour « invertis », comme on dit à lépoque. Le baron rentre dans lintimité des hommes politiques pour qui il organise des soirées privées. Le baron circule maintenant en cabriolet bleu, habillé par les meilleurs tailleurs. On sadjoint ses services. Pour assurer la sécurité du prince Carol de Roumanie et celle dHenri Torrès, pour défendre la légitimité princière de Monaco en 1928, pour épauler les parrains de Marseille, Carbone et Spirito (avec qui il est associé dans des cercles de jeu à Paris), lors de la campagne municipale de 1932 Cinq ans plus tard, il pose définitivement son sac sur la Côte dAzur. Grâce à ses relations, le truand décroche lautorisation dinstaller des machines à sous dans la principauté. Il y meurt riche et vieux en 1962. Jérôme Pierrat | |
Pierrot le Fou |
|
Il fut le premier
ennemi public n°1 de lhistoire. Fils de paysan,
truand à la petite semaine, gestapiste de la rue
Lauriston puis résistant de la 11 e heure. A la Libération,
avec son « Gang des tractions avant », une équipe
dex-collabos et de résistants, il se lance dans le
braquage. Banques, fourgons, usines, tout y passe. Le 6
novembre 46, suite à un casse raté chez un bijoutier de
la rue Boissière, il se tire une balle dans la vessie en
voulant ranger son pistolet. Ses complices lenterrent
clandestinement sur lîle de Limay. Jusquen
49, la police lui attribuera des casses. Vincent Monnier |
|