Hier, Pigalle la glauque

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Le chaudron du sexe et des malfrats, c’était là. De la place Blanche à la rue Victor-Massé, flics, voyous, artistes aussi se mélangent. Souvent pour le pire. Les archives y font apparaître un Tino Rossi compagnon de route des Allemands.

Subure, le quartier chaud de la Rome antique: c’est le nom que l’historien Louis Chevalier avait donné à Pigalle. En 2002, suinte toujours cette réputation de canaillerie. Devenu sexodrome aseptisé, le quartier fut en effet l’humus de la pègre parisienne. Grégory Auda, 34ans et historien auprès de la préfecture de Paris, vient d’ouvrir les archives du chaudron … Du glauque. Du très glauque.  

Voyez la Carlingue, ce ramassis de malfrats et de flics véreux, devenus gestapistes français. Ils serpentaient autour du terrifiant duo Bonny-Lafont. Ces truands miliciens ont mis le milieu au pas. Pigalle la Blanche s’est alors cousue dans l’étoffe de ces ignobles. Le prince des lieux? Tino Rossi. Hé oui, le gentil chanteur corse de «Petit Papa Noël», qui émarge alors à la collaboration, apprécie les nazis, Vichy et la compagnie des salauds de la rue Lauriston. La mafia avait Dean Martin et Pigalle, Tino. Grégory Auda dévoile ce profil noir: «Dans le milieu montmartrois, il était appelé Tonio. Il fréquentait le bar Dominique, rue Victor-Massé. Le patron Dominique Carlotti était associé à un membre de la Carlingue impliqué dans des trafics de cartes de pain et d’or. Le Tonio était protégé par la “bande des Corses” et se targuait de sa collaboration allemande, comme son frère, Joseph.»  

A la Libération, les résistants et les survivants de la Carlingue tels Pierre Loutrel, alias Pierrot le Fou, Abel Danos, dit le Mammouth, Georges Boucheseiche (impliqué aussi dans l’affaire Ben Barka) se retrouvent dans le gang des tractions avant. A Pigalle, l’argent arrange tout.  

Avant d’être conteur d’histoires noires sur France Inter, Eric Yung était flic de la Crime, à Pigalle: «J’ai longtemps entretenu un rapport affectif avec ce quartier. Une de mes fugues de môme s’est finie là. J’y ai été affecté en octobre 1969 et j’ai très vite trouvé mes marques: mon premier réveillon de Noël s’est passé au Rosario, un petit bordel de la rue Houdon.» Il se souvient de ses vieux collègues qui «vivaient rue des Martyrs, toutes portes ouvertes, au milieu des putes et des petits voyous». Il y avait bien sûr les légendaires «boîtes à gogos avec de vrais chasseurs qui raccompagnaient les filles le soir au pas de leurs hôtels». Une horde de trognes marseillaises, corses ou yougoslaves pour sérieB. «Pigalle, c’est un quartier qui fonctionne comme un show transformiste: chaud chaud la nuit, popu et industrieux le jour. Dans les années70, tout ce monde se brassait. Autour de grandes tables comme la Cloche d’or et le Sanglier bleu où mangeaient voyous, artistes et politiques.» Souvenir d’un petit matin en terrasse au Bastos, place Pigalle. Aux côtés de Yung, un truand prend une balle en pleine tête. Il ne réagit pas, sirote son express et repose peinardement sa tasse avant de partir.

La drogue, aussi, a soufflé sur le quartier: une mauvaise héroïne a mouché toute une jeunesse de la place des Abbesses. En mai1981, Juliet Berto et Jean-Henri Roger ont tracé sa saga dans «Neige», un film célébré au Festival de Cannes. Aujourd’hui, le mythe murmuré, c’est celui de la Dame blanche. «Tu connais pas? Elle a toutes les boîtes à hôtesses. Elle contrôle la dope, l’héroïne surtout. Elle est très vieille, la Dame blanche, et on ne la connaît pas», jure K., ex-dealer de shit à Château-Rouge, devenu éducateur, dans ce quartier mitoyen infesté de crack. La Dame blanche… Et ce Pigalle, déserté par le milieu, devenu une usine à rêves du pauvre et du touriste. A Pigalle, on ne dénombre plus les morts depuis longtemps. Aujourd’hui, les parrains, qui se font buter dans les PMU du 16e ou sur les Champs, laissent leurs yorkshires orphelins. Leur argent file à des héritiers en école de gestion et qui ne se risqueront surtout pas à Pigalle: trop de pickpockets roumains. Trop has-been.
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